La couture française peut s'enorgueillir de savoir faire émerger des jeunes talents souvent formés dans les plus grandes maisons françaises qui renouvellent à l'international l'image d'un savoir-faire français. Avec Stephane Rolland et Alexis Mabille, Alexandre Vauthier est l'un de ceux-là. Formé chez Thierry Mugler et Jean-Paul Gaultier, Il est aujourd'hui l'un des couturiers les plus remarquables du moment. Un vrai grand talent déjà remarqué par des stars comme les chanteuses Roisin Murphy ou plus récemment Rihanna. Votre magazine est allé rencontrer Alexandre afin de vous permettre de faire plus ample connaissance avec celui qui sera sans aucun doute l'un des leaders de la mode française dans les prochaines années.
Alexandre Vauthier : " j’ai voulu proposer une mode un peu plus radicale dans son expression avec des lignes vraiment très pures "
Si vous deviez définir le style Alexandre Vauthier en quelques mots ?
C’est toujours difficile à expliquer, je dirais que c’est plutôt les gens qui voient mes collections qui en parlent le mieux finalement. Moi ce que j’essaye de faire c’est un travail sur l’épure, sur la radicalité des lignes, je cherche à éviter d’en mettre trop. Je travaille sur une réelle construction du vêtement, de maîtriser les drapés les souplesses , aussi bien dans les vêtements structurés que dans les modèles qui sont beaucoup plus souples et féminins, ce qui ne veut pas dire que ce qui est structuré n’est pas féminin, justement tout est une question de proportions. Je crois que je suis arrivé à cela car j’avais besoin de purifier mon champ de vision, de voir des choses simples mais éminemment élégantes.
A quelle femme s'adresse Alexandre Vauthier ?
A toute les femmes même si il semble évident qu’il y a des femmes qui ont des personnalités plus adaptées à la femme Alexandre Vauthier. Mais encore une fois j’essaye de faire un travail qui puisse séduire aussi bien les très jeunes comme les femmes un peu plus mûres et je crois que dans la collection il y a des propositions qui peuvent s’adresser à différents types de femmes. Le seul lien qu’il pourrait y avoir entre toutes ces femmes c’est l’élégance à tout prix.
Quel message souhaitez-vous faire passé avec vos vêtements ?
C’est pas un message c’est plutôt une proposition. Mais peut-être il y a des messages inconscients. En tout cas j’ai voulu proposer une mode un peu plus « radicale dans son expression avec des lignes vraiment très pures. Quelque chose qui soit avant tout simple et élégant avec cette double sensibilité. Un côté qui soit à la fois très charismatique et d’un autre côté quelque chose de très accessible voir passe partout.
Vous voyagez beaucoup, pensez-vous que la parisienne soit une femme particulière ?
Je crois qu’il y a l’essence de la parisienne je crois qu’on est dans une phase de mondialisation où on va très très vite en terme de moyens de communication et d’internationalisation mais justement on a aussi envie de se rattacher à des histoires culturelles, à des repères socio-culturels. Il y a une parisienne, comme il y a une new-yorkaise, une londonienne c’est vrai. C’est aussi la force de Paris, cette attitude parisienne, quelque chose d’inné axé véritablement sur l’élégance.
Vous êtes passé par les maisons Thierry Mugler et Jean Paul Gaultier, que retenez-vous de ces expériences ?
Plein de choses parce que ce sont deux personnages très différents et j’ai appris beaucoup à leurs côtés car justement j’ai été confronté à deux personnalités très différentes. Chez Mugler où c’était mon premier emploi et donc mon formateur quelque part il m’a vraiment appris à travailler à la tiers à corriger à l’œil tout ce qui est coupes, détails, en fait tout le côté très technique. Il m’a aussi appris à penser en globalité, à voir des vêtements dans l’ensemble d’une collection, dans des looks interchangeables, ça c’est un truc que j’ai appris chez lui. Le perfectionnisme aussi. L’esthétisme était poussée à l’extrême, c’est quelque chose qui vous rend endurant. Il m’a appris toute cette culture de technicité, de perfectionnisme et d’endurance, c’est les trois axes essentiels chez Mugler. Au delà du fait que c’est vraiment quelqu’un de génial, une très belle rencontre humaine, c’était aussi mon premier boulot donc vraiment j’y suis très attaché sentimentalement.
Chez Jean-Paul c’était complètement différent parce qu’en plus les femmes ne sont pas les mêmes. Chez Mugler c’est très américain, chez Jean Paul c’est beaucoup plus français. Chez Gaultier je suis arrivé sur la Couture, il y avait un vrai travail sur l’élégance parisienne mais toujours avec les codes de Jean Paul mais plus en subtilité plus en nuances on était plus dans le côté clin d’œil que blagueur, on a essayé de dynamiser cette couture. Tout ce que j’avais appris chez Mugler je l’ai biensur mis en pratique. Mais ça été une rencontre totalement différente.

Crédits Photos : Fashions-addict.com
Dans votre métier quelle est l'étape qui vous angoisse le plus ?
En fait il y en a plein des étapes angoissantes. Je crois qu’il faut être un peu inconscient pour faire ce métier là. Pas de la mauvaise inconscience mais juste léger sur certains points. C’est vrai qu’il y a beaucoup de pression, les dates buttoirs des défilés, parfois quand vous voyez des idées que vous voulez exprimer et qui sont mal abouties en modélisme … Il faut penser au commercial, au désir des femmes, à l’ambiance environnante, mais ce n’est pas vraiment des angoisses. Je crois que le plus angoissant c’est le pic d’adrénaline avant le show car là vous ne pouvez plus changer grand chose et vous allez proposer quelque chose à un public qui est là dans une salle.
A un moment on se dit « Est-ce que c’est sûr ou pas sûr ? » mais c’est de la fausse angoisse car quand je construis une collection j’essaye vraiment de sentir les choses. Je suis très bon spectateur et je fais en sorte que tout ce que je n’aime pas ne se retrouve pas chez moi.
Comment c'est passé votre collaboration avec Rihanna sur son dernier album ?
Génial, ça été magique, c’est vraiment un coup de chance en fait. Elle était là pour la dernière session du prêt à porter et c’est sa styliste qui m’a contacté directement et qui m’a proposé de rencontrer Rihanna. Voilà les choses se sont faites comme ça très simplement. Elle était dans un studio d’enregistrement dans le 20ème à Paris, j’ai apporté la collection très tard car elle était en train de peaufiner sa production et elle a vu les vêtements. C’était une vraie belle rencontre, moi je la trouvais très belle en images mais je trouve qu’elle est encore plus belle en vrai, elle a un charisme fou. On sait quand on rencontre ces personnes pourquoi c’est des stars internationales. 4 jours après elle avait sélectionné quelques tenues. On est toujours en contact et j’espère que cette collaboration va continuer.
Des maisons de couture disparaissent (Jean-Louis Scherrer, Christian Lacroix ..) est-ce inquiétant selon vous ?
C’est inquiétant oui, surtout dans la période où on est c’est flippant, on n’est pas dans une période qui est vraiment prospère. Maintenant faudrait savoir pourquoi ces maisons ont fermé. Est-ce que c’est lié à la crise, aux collections, aux vêtements qui ne plaisent plus, y’a des tas de paramètres qui font que les Maisons s’étranglent et on ne sait pas vraiment pourquoi. C’est toujours vraiment dommage car c’est du patrimoine culturel pour la France qui disparaît notamment Lacroix et Scherrer à leur époque c’étaient quand même des marques emblématiques.
C’était quand même des géants qui ont représenté la France à l’international. C’est angoissant parce qu’on se dit, est-ce que s’est le marché qui a changé ou est-ce lié aux créateurs en question. On sait très bien que les ventes baissent dans les maisons de couture et qu’elles perdurent grâce aux licences comme les parfums. Au delà du fait artistique il faut retenir de ses maisons pourquoi cela n’a pas fonctionné. C’est vraiment une réflexion à avoir. La mode c’est génial mais il y a aussi une grosse gestion derrière et si malheureusement elle n’est pas là c’est très difficile, ça tombe.
Que pensez-vous des décisions prises par le ministre Christian Estrosi pour aider la Mode française ?
Je n’ai pas tous les détails de ces projets mais cela ne peut aller que dans le bon sens je suis très content que le gouvernement puisse ainsi s’impliquer dans la mode car on a besoin d’aide et de soutien. C’est important de se pencher sur ces professions car ça fait vraiment parti du patrimoine historique de la France.
Même si les soutiens financiers sont maigres ça peut booster des jeunes créateurs. Il ne faut pas oublier que la mode est née en France, c’est comme la cuisine, le bon vin, le parfum, c’est culturel. Je crois qu’en France il y a beaucoup de talents qui mériteraient d’être poussés.
Quels conseils pourriez-vous donner à de jeunes créateurs ?
Travailler avec acharnement et persévérer, c’est tout. C’est des métiers qu’on a l’impression qu’il se font comme ça en claquant des doigts mais c’est un travail de longue haleine, c’est des journées et des week-end interminables. Depuis que j’ai ouvert ma société je n’ai pas eu une seule semaine de vacances, j’ai dû prendre trois dimanches mais quand on aime ça et qu’on porte un projet comme ça c’est pas grave.
Interview réalisée par Marie Joe Kenfack