Interview Lorenz Bäumer : J’aime bien me comparer à un chef d'orchestre
Luxe | Publié le 14/12/2009 11:33:06
Véritable star de la joaillerie moderne, Lorenz Bâumer a apporté de la nouveauté, une certaine fraîcheur dans ce domaine. Après avoir fait dans les années 80 des études d’ingénieur à la prestigieuse Ecole Centrale de Paris, il réalise des meubles, de l’argenterie et de la porcelaine et crée pour les grands noms du luxe.
En 1989 il lance sa ligne de bijoux fantaisie sobrement intitulée "Lorenz". Puis il ouvre aux débuts des années 90 une boutique Place Vendôme et conçoit sa première pièce de Joaillerie sous le nom de Lorenz Bäumer. En 2004, Lorenz Bäumer est nommé Chevalier des Arts et des Lettres. Ses œuvres sont présentées à New York et à San Francisco lors de l’exposition “Chefs d’œuvre de la joaillerie française”.
C'est en 2009 qu'il franchit une nouvelle étape dans sa carrière en étant nommé directeur artistique de la joaillerie Louis Vuitton, ce qui lui offre de nouvelles opportunités. Aujourd'hui pour cette fin d'année il se confie à votre magazine.
" Une pièce de joaillerie se conçoit avec beaucoup d’enthousiasme, de passion et de persévérance. "
Vous avez beaucoup voyagé dans votre enfance, est-ce que cela a été formateur ?
Saint Augustin a dit que le monde était comme un livre et que ceux qui ne voyageaient pas ne lisaient qu’une page. Il est donc certain que les voyages que j’ai fait dans ma jeunesse ont été extrêmement formateurs et que cela m’a permis de développer une certaine curiosité, d’appréhender les choses nouvelles comme si elles étaient naturelles. Cela m’a énormément aidé aussi bien dans ma tournure d’esprit qu’ en termes d’image, de vécu, de rencontres, d’idées, de couleurs, de formes.
Comment vous est venue l'idée de créer des bijoux ?
Ma mère qui était une femme de diplomate recevait énormément à la maison. Ce qui m’a toujours fasciné était la transformation entre la mère que je connaissais et la mère qui devenait une princesse dès qu’elle portait ses bijoux. J’ai toujours eu envie d’avoir à mon service cette baguette magique qui permet de transformer les femmes en princesses et me suis rapidement rendu compte qu’on l’appelait bijoux, broches, colliers…. J’ai donc commencé très tôt à m’amuser à créer des petits bijoux, en particulier dans le cadre des réceptions. On y trouvait beaucoup de bouteilles de champagne, j’ai toujours tordu des petits bouchons de champagne avec le fil de fer qui devenait la structure de la bague, la feuille d’aluminium qui lui donnait sa forme et puis le bouchon qu’on pouvait bricoler pour qu’il devienne le cabochon ou la pierre qui orne la bague.
Quel moment préférez-vous dans le processus de création ?
Les moments que je préfère dans le processus de création sont les deux extrêmes. J’aime à la fois le moment ou vient l’idée, que je la couche sur le papier et imagine ce que pourrait être l’objet et le moment final quand l’objet est terminé et que cette idée existe. Ce qui m’intéresse le plus est aussi bien l’idée au sens pur que la réalisation.
Comment se conçoit une pièce de joaillerie ? Quelles en sont les étapes ?
Une pièce de joaillerie se conçoit avec beaucoup d’enthousiasme, de passion et de persévérance. Il faut du savoir faire, des idées et bien sur des clients formidables qui sont prêts à vous soutenir. Les étapes en sont : avoir l’idée, faire le dessin et l’expliquer, superviser les différentes étapes de la fabrication d’une maquette et finalement réceptionner le produit fini en vérifiant qu’il est bien conforme à mes attentes.
Est-ce un travail d'équipe ?
J’aime bien me comparer à un chef d’orchestre qui a pour raison d’être de trouver la meilleure partition, avec le meilleur orchestre, dans la meilleure salle de concert du monde. Mon travail ne peut être que la somme du travail de tous ceux qui composent mon orchestre. C’est donc forcément et d’une façon indéniable un travail d’équipe.
Comment vous viennent vos idées ? Quelles sont vos sources d'inspiration ?
Mes idées me viennent du monde du jardinier qui est celui de la nature, du monde de la poésie qui est celui de la littérature, des idées, des significations cachées et elles me viennent également du monde de l’architecture qui est le monde dans lequel j’ai reçu ma formation: celui de l’ingénieur. J’ai des sources d’inspiration dans des domaines très différents, cela peut aussi bien être une femme, qu’une belle pierre ou simplement un flash créatif que je peux avoir par exemple dans un moment de contemplation d’une œuvre d’art.
Vous êtes un créateur reconnu notamment en étant exposé dans le monde entier, vous êtes aussi Chevalier des arts et des lettres, comment vivez-vous cette reconnaissance ?
Pour moi cette reconnaissance n’existe pas. En tant que créateur, on ne vit pas dans le passé, on est en permanence tourné vers le futur. C’est a chaque fois que l’on crée une pièce qu’il faut prouver ce qu’on est capable de créer.
Vous êtes né aux Etats-Unis, d'un père allemand et d'une mère française, pensez-vous que cela soit un atout aujourd'hui ?
Je pense que cela me permet d’avoir les yeux ouverts sur le monde. Cette pluri nationalité m’a donné une ouverture et une curiosité qui sont des atouts certains mais peu importe l’endroit d’où l’on vient, chacun peut cultiver cela en fonction de ses envies.
Vous êtes le directeur artistique de la joaillerie Louis Vuitton. Est-ce une approche totalement différente ? Avez-vous plus de contraintes ? Comment vivez-vous cette expérience ? Souhaitez-vous l'inscrire dans la durée ?
La direction artistique de la joaillerie Louis Vuitton est une expérience extraordinaire. Pouvoir contribuer ainsi au développement d’une joaillerie aussi prestigieuse que celle de Louis Vuitton est une aventure formidable que j’espère inscrire dans la durée en créant ,en me renouvelant en permanence et en réalisant les plus belles créations possibles pour cette marque. J’ai évidement des contraintes comme partout mais ce sont justement les contraintes qui rendent notre travail si intéressant et qui nous obligent à nous réinventer sans cesse. C’est en même temps une façon de travailler très différente de la mienne. Chez moi je crée souvent des pièces uniques, je reçoit les clients, je suis de très près d’un bout à l’autre de la chaîne tandis que chez Louis Vuitton je m’occupe principalement de la création, des idées que j’ai la grande chance de pouvoir diffuser à travers un grand nombre de points de vente où je ne suis pas systématiquement présent.
Vous venez de créer un rouge à lèvres pour Guerlain, quel a été votre rôle ? Comment c'est passé cette collaboration ? Pourquoi avoir accepté cette expérience dans le domaine de la cosmétique ?
Pour un designer il est formidable de pouvoir créer des choses qui vont être vues par une grande quantité de personnes, pas seulement par une élite qui achète ma joaillerie très sophistiquée. Essaimer ses idées à travers le monde grâce à un objet qui serait d’une valeur moindre que de la joaillerie est quelque chose de formidable. J’ai rencontré Olivier Echaudemaison, le directeur artistique de Guerlain, d’abord de façon amicale et quand il m’a proposé de collaborer avec lui pour la réalisation d’un rouge à lèvres, j’ai tout de suite été très enthousiaste et j’ai sauté sur l’occasion.
Quels conseils pourriez-vous donner à de jeunes créateurs qui veulent se lancer ?
Je peux donner aux jeunes créateurs les mêmes conseils que Thomas Edison donnait en parlant de la façon dont il avait obtenu tous ces résultats scientifiques extraordinaires : « 95% de transpiration, 5% d’inspiration. »
Dans quelle direction va aller l'imagination de Lorenz Bäumer dans les prochains mois ?
Dans les prochains mois, mon imagination va être dans des endroits que je ne devine même pas aujourd’hui. En ce moment, j’ai envie d’être architecte, peut être que demain je serais jardinier, poète, voyageur. C’est la surprise quotidienne d’avoir chaque jour à se réinventer.
Qu'allez-vous faire pour les fêtes de fin d'année ?
Pour les fêtes de fin d’année je vais délaisser le temps des hommes et je vais me mettre au diapason du temps de la nature en allant faire du surf dans un endroit magique en Indonésie
Propos recueillis par Marie Joe Kenfack
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