Interview Thierry Marx : " la cuisine c'est des émotions ... "
News | Publié le 28/09/2015 17:41:04
Aujourd'hui Thierry Marx est incontestablement l'un des chefs français parmi les plus médiatiques. Reconnu comme une référence autant par sa cuisine que par son parcours atypique, il est le porte-parole d'une cuisine française d'excellence basée sur le partage, l'apprentissage et les savoir-faire. Très impliqué dans la vie sociale, engagé, il a fait de sa passion et de son métier, un outil d'expression, comme un peintre avec ses pinceaux.
Partenaire du constructeur Audi, c'est à l'occasion d'une rencontre organisée en comité restreint à Chantilly par la marque allemande, que votre magazine a rencontré Thierry Marx pour une interview où le chef est revenu sur sin parcours et nous explique sa vision de la gastronomie. Le chef du Mandarin Oriental Paris est un homme passionnant et passionné.
" La notoriété je la gère sans me poser de questions "
Vous êtes aujourd'hui très populaire, comment gérez-vous cette notoriété ?
Je ne voudrais pas faire de la fausse modestie mais plutôt vous répondre d’un trait d’humilité. La notoriété est quelque chose d’éphémère, il faut savoir être soi-même, être dans la vérité avec soi-même, les choses avancent seules. La notoriété je la gère sans me poser de questions le matin en me disant « I am ». J’essaye de ne pas me laisser parasiter par des choses qui auraient pu me faire changer d’axe ou changer d’état d’esprit par rapport aux autres, à la vie, à ce que je crois juste. La notoriété ça se gère , surtout garder toute l’humilité qu’il faut pour se dire " j’ai vraiment de la chance ", " je suis passé à travers " les mailles du filet, ça marche plutôt bien. Et si en plus vous pouvez faire un peu pour les autres, ça serait bien. C’est ce que je me dis tous les matins et ça me permet de garder les pieds sur terre.
Au fil des années que pensez-vous de votre évolution ?
On peut dire qu'il y a évolution en effet car il y a 25 ans quand je commence dans ce métier je sais rien faire, couper juste je ne sais pas, les bonnes cuissons je sais pas vraiment, le bon timing c’est très difficile. Au fil des années je vais progresser, je vais m’aguerrir, je vais apprendre mes classiques, je vais apprendre la maîtrise du geste, la maîtrise du feu, la maîtrise du temps. Ensuite je vais essayer de faire une cuisine d’auteur, donc de traverser à chaque fois que je fais quelque chose la mer de l’incertitude. Est-ce que mon plat va plaire ? J'ai toujours cette angoisse
" On a envie de séduire quand on fait la cuisine pour les autres "
Se dire ‘ce plat ne peut pas plaire’ et quand il ne plait pas, ce qui peut arriver, il y a comme une rupture qui est toujours un petit peu douloureuse, il faut vite rebondir et essayer de proposer autre chose. Parce que la cuisine c’est un lien invisible, on fait goûter un peu de son intimité et ça c’est toujours compliqué car on y a mis des ingrédients, une histoire, un peu de technique sans qu’elle se voit de trop, et si on n'a pas réussi à séduire car on a envie de séduire quand on fait la cuisine pour les autres, et bien quand ça fonctionne pas, c’est navrant. On a toujours cette angoisse quand on débute un service de ne pas être à la hauteur de l’émotion que l’on voudrait donner à nos convives et ça c’est très important parce que la cuisine est émotionnelle. On ne rentre pas dans un restaurant en se disant je meurs de faim il faut que je mange un énorme morceau de viande. On vient chercher une cuisine, un style, un auteur, un lieu, un moment, souvent où l’on va se rencontrer, et on vient chercher surtout de l’émotion et ça c’est fragile.
Et de manière plus générale comment trouvez-vous l’évolution de la cuisine française ?
Elle est saine. Elle a toujours évoluée il n’y a jamais eu de révolution en cuisine. Si vous prenez Archestrate à l’Antiquité Grecque jusqu’à Escoffier au début du 20eme siècle, il n’y a pas eu de révolution et il y a eu des évolutions. Ce qui est intéressant en France c’est qu’il y a un axe important qui dure c’est plaisir, bien-être et santé. Ces notions le cuisinier doit l’entretenir. Encore une fois on va toucher l’intime de l’autre. Il faut vraiment que quand il goûte votre cuisine il y ait trois temps. La cuisine elle se regarde, ce doit être beau, quand on goûte ça se médite, on se dit qu’est-ce que s’est, c’est délicieux, et puis on finit par manger c’est le troisième temps, on en voudrait mais y’en a plus, frustration, donc il faut passer à un autre plat. Mais c’est ce rythme là qui est intéressant dans la cuisine pour procurer de l’émotion et ça c’est à manipuler du bout des doigts c’est pas si simple que ça en a l’air.
La cuisine moléculaire vous en pensez quoi aujourd’hui ?
La cuisine moléculaire c’est pas une cuisine. La gastronomie moléculaire s’était un outil de compréhension, d’ailleurs il y a une chair à Orsay qui s’appelle le CFIC, le Centre Française de l’Innovation Culinaire qui est dirigé par un chercheur qui s’appelle Raphaël Haumont, c’est un outil de compréhension. L’étude de la gastronomie Moléculaire permet aux simples artisans que je suis de comprendre un certain nombre de mécanismes pour se les approprier voir de les dépasser et de proposer autres choses, proposer de nouvelles textures, d’extraire mieux les saveurs avec des méthodes comme la cryoconcentration. C’est un outil, c’est pas une posture, c’est pas un style de cuisine. Il ne doit y avoir qu’une cuisine d’auteur, un auteur peut éventuellement utiliser la connaissance de la gastronomie moléculaire pour continuer à progresser dans son art.
J’ai compris que vous aimiez chiner des objets d’art, vous êtes amateur de design, d’où cela vous vient-il ?
Je crois que j’ai toujours eu "une cervelle de riche avec un portefeuille de pauvre". J’ai toujours aimé le beau et pour moi il n’y a pas de conflit entre le beau et l’utile. Aujourd’hui j’ai appris un peu de l’art et j’ai rencontré des gens qui m’ont guidé, qui m’ont initié. Vous savez je viens d’un quartier d’une extraction sociale très modeste donc tout ça n’existait pas. J’ai du apprendre, et aujourd’hui quand je vois un bel objet, quand je vois quelque chose qui va pouvoir s’intégrer dans ma vie personnelle, et bien ça me parle, je peux l’intégrer dans mon univers. L’art pour moi peut faire partie de la vie et je tiens à cela, pour moi il n’y a pas de conflit sérieux entre le beau et l’utile. Quand vous voyez un bel objet qui vous plait qui vous séduit, il vous appelle finalement, il faut l’intégrer. Et ça ne vous empêche pas de l’apprécier lorsque vous n’avez pas les moyens de vous offrir, ce qui m’est arrivé à Orsay il y a peu de temps devant une œuvre de Renoir – le Moulin de la Galette – j’aurais jamais les moyens de me l’offrir, mais je peux passer du temps devant un tel tableau et d’essayer de décrypter ce que Renoir a voulu nous dire avec cette œuvre. Voilà pourquoi j’aime le monde de l’art.
Propos recueillis par Marie-Joe Kenfack
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