Interview Tracy De Sá, rappeuse féministe et engagée
Culture | Publié le 28/09/2021 09:00:27
Artiste multiculturelle qui a beaucoup voyagé la rappeuse Tracy De Sá porte en elle le kit nécessaire pour devenir l'une des révélations musicales de ces prochaines semaines. Coup de coeur de votre magazine nous avons posé quelques questions à cette jeune femme qui a beaucoup à dire et le fait très bien !
En pleine préparation de son deuxième album, signé chez le label montant Ovastand et à l'occasion de la sortie d'un nouveau clip, Tracy De Sà s'est confiée à votre magazine. Rappeuse féministe Tracy ambitionne avec son nouveau projet de redonner aux femmes la place qu’elles méritent dans notre société. Sans tabou et sans gêne, elle aborde des thèmes très actuels avec courage et fierté.
" ... le plus important dans mon projet était mon histoire, celle d’une femme issue de l’immigration. "
Quel est votre métier ? Artiste, chanteuse, musicienne, auteure ? Comment définiriez-vous votre travail ?
Je suis rappeuse. Je mélange les bases du hip hop des années 90, c’est-à-dire, des flows techniques et des messages revendicatifs avec des sonorités exotiques qui retracent mes origines, notamment les sons indiens parce que je suis née en Inde, et des rythmiques latines parce que j’ai grandi en Espagne. Ensemble ça donne un hip hop dansant, rapide et coloré.
Pourquoi avoir choisi Tracy De Sá comme nom d’artiste ?
J’ai pris beaucoup de temps avant de l’accepter en tant que tel. Tracy est mon vrai prénom, De Sá est mon vrai nom de famille. Au début j’utilisais des variants jusqu’à ce que je comprenne que le plus important dans mon projet était mon histoire, celle d’une femme issue de l’immigration. Depuis, je cherche l’authenticité, je veux que mon public puisse me connaître et me comprendre sans m’avoir rencontré. Utiliser mon vrai nom en blaze ça veut dire aussi démocratiser la multiculturalité, montrer qu’elle est plus répandue que l’on pourrait le croire. J’ai un prénom anglais et un nom de famille portugais, ceci représente mes origines, mon passé colonial et mon parcours migratoire.
Vous naviguez entre différents styles musicaux, est-ce le résultat de votre vie nomade ?
Exactement, j’ai grandi en écoutant plein de styles différents. Le hip hop m’a fait comprendre qui j’étais, d’où je venais, ça m’a fait comprendre l’importance du chemin, mais les musiques latines m’ont fait sentir la chaleur, la sensualité, la désinvolture, les musiques indiennes m’ont appris la précision, la créativité, le respect de l’art. Tous ces genres ont construit mon oreille musicale ce qui fait qu’aujourd’hui ma musique peut s’interpréter à plusieurs niveaux de lecture : le texte, le flow, la musicalité, l’ambiance crée par ce que je dégage... ma musique est le reflet de qui je suis, avec les différentes langues qui s’enchainent, avec une petite rage toujours présente dans ma voix, avec des rythmiques inattendues... hybride, original et perchée de ouf, comme moi quoi.
Vos nombreux voyages vous ont apportés quoi ?
Le plus important et significatif je dirais que c’est la patience. Mon parcours migratoire m’a appris à être patiente mais à être quand même toujours en mouvement. J’ai toujours eu l’impression que les choses allaient être plus durs pour moi, à cause de mon genre, ma couleur de peau, mon accent, donc j’ai appris à me battre en acceptant de faire des petits pas pour avancer. A part ça, mes voyages m’ont aussi appris la tolérance, le respect, ils m’ont appris que tout mérite mon attention, que je peux apprendre de chaque petit détail du monde, de chaque personne, n’importe son âge ou ses origines.
Vous vivez aujourd’hui à Paris, pourquoi ce choix ?
A la base j’ai déménagé pour le travail, j’avais l’impression qu’il y avait beaucoup plus d’opportunités pour moi ici. J'ai signé un contrat dans un label parisien qui s’appelle Ovastand, donc je me retrouvais à monter sur Paris une fois par mois, et chaque fois je restais plus longtemps, au bout d’un moment c’était juste logique que je déménage. L’arrivée sur Paris a été compliqué en pleine crise sanitaire, j’avais pas l’impression de vivre le rêve parisien, tout était fermé, c’était dur de rencontrer du monde, mais maintenant que tout revient à la normalité je me sens super bien ici. Cette ville me correspond, il y a beaucoup de gens perché.es dans cette ville donc je me sens moins en décalage. Ce que j’aime le plus c’est de pouvoir rencontrer des artistes à chaque sortie, tout le monde est créatif.ve et ambitieux.se ici, cette énergie m’inspire et nourrit ma propre créativité.
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" La base de toute révolution c’est d’amener vers un changement de mentalité "
Vous êtes une artiste engagée, quelles sont les valeurs que vous souhaitez défendre ?
Plus que défendre des valeurs j’ai envie qu’on déconstruise tout ce qu’on connaît sur le fonctionnement des êtres humain.es. J’aimerais qu’on arrête de nous hiérarchiser. Les hommes ne sont pas plus forts que les femmes, les blancs ne sont pas plus intelligents que les personnes de couleur, les hétérosexuels ne sont pas plus respectables que les homosexuels. Les humains ne sont pas plus méritants que la nature et les animaux. La base de toute révolution c’est d’amener vers un changement de mentalité et c’est ça qui aura un impact ensuite sur les actes, les habitudes, les traditions et surtout sur l’accès aux ressources. Je me considère comme féministe intersectionnelle parce que je suis consciente que ces systèmes d’oppression se croisent et s’accumulent. Je n’ai pas vécu les mêmes choses que mes copines blanches parce que je suis de couleur et parce qu’on me voit comme une immigrée. Mais j’ai encore le privilège d’être hétérosexuelle ou valide. Le message que j’essaie de véhiculer à travers ma musique c’est que ces hiérarchies n’ont plus lieu d’exister et qu’on ne devrait plus se conformer au rôle que la société nous attribue, le rôle de « l’opprimé » le rôle de « victime », même si c’est dur, il faut reprendre pouvoir, changer la signification des mots qui nous rabaissent, changer l’image qu’on a de nous-même, prendre confiance et prendre de la place, exister tel qu’on est, faire du bruit et vivre pleinement malgré les regards, les opinions et les obstacles.
" Il a fallu que je prenne conscience que mon corps était politique "
Vous avez déjà à votre actif plusieurs clips, l’image est-elle importante pour vous ? Êtes-vous attentive au stylisme ?
Dans mes clips je considère l’image comme une langue de plus. Dans mon public il y a des gens qui ne parlent pas les langues dans lesquels je rap, mais même sans comprendre le texte ils capteront le message à travers ce que je dégage, que ça soit par le stylisme ou par les gestes. La quête de mon image et de mon corps a été un long chemin. J’avoue qu’au début je m’en foutais un peu de mon image, je m’habillais avec des vêtements confortables mais c’étaient toujours les mêmes habits larges, sans forme. Je croyais que c’était une question de moyens, que je n’avais pas l’argent à mettre dans la mode, ou une question de temps, j’avais pas le time de chercher ce qui m’allait bien. Mais j’ai vite compris que c’était une façon de me rendre invisible. On me regarde déjà assez dans la rue, je ne voulais pas attirer l’attention. Quand j’ai commencé le rap je ne voulais pas montrer que j’étais femme, je voulais être « un poto » de plus, je ne voulais pas créer des ambiguïtés, ou que les gens me donnent des opportunités par rapport à mon apparence. Il a fallu que je prenne conscience que mon corps était politique, qu’à travers mon corps la société véhiculait des messages, et qu’à travers le mien il véhiculait une image de peur, de soumission, d’acceptation… et ça ne me correspondait pas donc j’ai cherché à changer ça. J’ai cherché à prendre confiance en tant que femme, à montrer ma féminité parce que cela ne changeait pas ma valeur, ni la qualité de mes textes, ni ma technique. J’ai commencé à mettre plus de couleurs, des maquillages et des coiffures bizarres, des bijoux indiens, j’ai commencé à m’exprimer quoi, à montrer qui j’étais, sans peur des regards. Mais à travers la mode j’ai aussi fait la paix avec mon corps, j’ai commencé à montrer mes formes, à mettre des vêtements qui me faisaient sentir sexy et puissante.
Aujourd’hui le stylisme est un aspect très important dans ma vie, mon image c’est ma marque, mon stylisme fait partie de mon branding donc que ça soit dans les clips, sur scène ou dans ma vie quotidienne, je cherche toujours à casser les codes, à m’imposer et à raconter mon histoire.
Suivez-vous la mode ? Quels sont vos créateurs ou marques fétiches ?
Oui je m’intéresse à la mode, j’ai déjà collaboré avec des createur.trices talentueux comme @romaintheveninparis ou @winterstan_ , et surtout avec des femmes très très douées avec les marques @cadavresky et @7milliardsofficiel. J’aime les créations originales, les produits innovants, les articles crée dans le respect de la nature et des animaux. En ce moment je suis particulièrement intéressée par les créateur.trices sur les réseaux qui travaillent avec des matières upcyclés, des produits vintages, des pièces de friperie. Je surkiffe les comptes comme celui de @zerowastedaniel, @psychic.outlaw ou @kseniaschnaider. C’est incroyable tout ce qu’ils arrivent à créer avec des matières déjà existantes. J’ai envie de croire à la révolution écologique dans la mode et investir dans des gens qui se battent pour changer le monde. Il est temps qu’on commence à consommer la mode de manière responsable comme on le fait déjà pour la nourriture.
" .... Dans cet album je prends de la place, je parle de thématiques tabous sans filtre, je parle de corps, de sexualité, de ce que cela veut dire d’être femme, avec toute la force et la puissance que ça implique "
L’avenir c’est un nouvel album, que pouvez-vous nous dire à propos de ce projet ?
C’est un projet qu’on prépare depuis presque deux ans, un projet qui arrive avec beaucoup de force et une nouvelle version de moi. Mon premier album « Commotion » est sorti en 2019 et on sentait encore la petite fille blessée parler dans les sons, mais le nouvel album retrace une inversion des rôles, maintenant je refuse d’être une victime de ce monde cruelle, je refuse de rester sage, silencieuse, invisible, dans cet album je prends de la place, je parle de thématiques tabous sans filtre, je parle de corps, de sexualité, de ce que cela veut dire d’être femme, avec toute la force et la puissance que ça implique. Sur cet album à 14 titres je rap en trois langues, parce que pourquoi pas ? J’ai des sons très militants et des sons reggaeton hyper dansants. J’ai aussi eu la chance de collaborer avec des artistes internationaux et produire des clips de très haute qualité avec des messages très forts. Je me reconnais dans cet album parce que je retrouve en fin la femme que j’ai toujours voulu être …
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