John Galliano la chute d'une icône, portrait et reportage au cœur du procès

Mode | Publié le 27/06/2011 09:03:23
A l’heure où cet article est mis en ligne, le designer John Galliano est un homme libre mais seul. Les propos diffamatoires qu’il a tenus en public l’ont conduit le 22 juin dernier au Tribunal correctionnel de Paris. Un lieu où on n’imaginait pas voir un tel génie de la mode si l’on remonte quelques mois en arrière.
Un homme adulé hier, fuit par beaucoup aujourd'hui. Mais voilà comme souvent lorsque l’on est en présence d’un génie créatif l’excès n’est jamais très loin surtout lorsqu’il est perturbé par des éléments extérieurs comme des addictions néfastes. Aujourd’hui Fashions-addict.com vous propose un portrait de John Galliano et nous reviendrons en détail sur cette confrontation au tribunal à laquelle nous avons pût assister.

John Galliano un créateur adulé

Rarement un créateur de mode n’aura fait autant l’unanimité auprès des spécialistes et du public à tel point qu’il semblait intouchable et que chaque collection chez Dior était salué comme un événement. Un parcours dans la mode sans fausses notes, une trajectoire idéale jusqu’à cette sortie de piste pas si anodine que cela.

 

John Galliano de son vrai nom Juan Carlos Antonio Galliano Guillén est né le 28 novembre 1960 à Gibraltar. Fils d’un italien et d’une mère espagnole passionnée de vêtements et de flamenco. C’est en 1966 qu’il s’installe avec sa famille dans la banlieue de Londres. C’est là qu’il croise une population venue de toutes origines. C’est ainsi qu’il développe un certain goût pour l’esthétisme. C’est en 1981 qu’il s’inscrit dans la prestigieuse école « Central Saint Martins College of Art and Design » de Londres il en sortira diplômé en 1984. Il est aussi pendant cette période de sa vie habilleur au National Theatre de Londres. Pour son défilé de fin d'études il propose une collection d’inspiration révolutionnaire, laissant libre cours à sa fantaisie et à son imagination débordante. Cette prestation lui permettra d’obtenir les félicitations du jury et une mention très bien.
Ces éloges lui permettent de lancer sa propre griffe dès 1984 et en 1987 il obtient le prix du créateur britannique de l’année, Designer of the Year, prix qu'il obtiendra à nouveau en 1994 et 1995. Au début des années 90, Galliano déménage son studio et son équipe de Londres à Paris grâce à l’appui de financiers. En 1990 il défile pour la première fois à Paris. C’est un événement. Il compte déjà parmi ses admirateurs des célébrités comme Madonna. Le français Bernard Arnault, qui est à la tête du groupe de luxe LVMH a repéré ce talent exceptionnel et le nomme en 1995 à la tête de Givenchy, en 1996 il devient directeur de la création de la Haute-couture et du Prêt-à-porter féminin chez Christian Dior que Bernard Arnault souhaite relancer. La toute première robe qu'il réalise chez Dior est pour la princesse Diana, qui la porte à l'inauguration de l'exposition des 50 ans de la marque Dior au Musée de la Mode de New York. 50 ans après l’émergence du « New Look » de Christian Dior, John Galliano a présenté sa première collection pour la maison Dior le 21 janvier 1997. Le magazine Time le décrit comme “le créateur le plus influent de sa génération”.
En 1999, il pose définitivement son empreinte sur la Maison Dior en devenant le directeur artistique de toutes les collections féminines de Dior et dirige même l’image de la marque et sa communication. En 2001, il s’occupe aussi des parfums Dior dans une vision globale de la marque, les parfums s’inspirant des collections. C'est à cette époque qu'il commence à s'affirmer comme une véritable icône de la mode. Avec cette maîtrise totale de la marque il fait de Dior l’une des marques de luxe les plus appréciées au monde. Ses défilés sont selon les saisons source de scandales et d’adorations, il se hisse au niveau des plus grands, réinventant les codes de Christian Dior, apportant modernité et subversion. De nombreuses stars sont fans comme Drew Barrymore, Charlize Theron, égérie des parfums Dior, Cameron Diaz, Kate Moss, égérie Dior pour le maquillage, Penelope Cruz, Monica Bellucci et Sharon Stone, plus récemment Natalie Portman.
En 2003, il développe à nouveau sa propre griffe et une boutique rue Saint Honoré à Paris, et lance sa collection Hommes tout en continuant ses activités chez Dior. En 2007 il obtient le Globe de Cristal de meilleur créateur de mode. En janvier 2009 il est promu Chevalier de la Légion d’Honneur. Très vite durant les années 2000 à 2010 John Galliano s’impose comme une icône de la mode. Il a ses fans (nombreux) et ses détracteurs. L’une de ses phrases les plus célèbres est « Je préfère le mauvais goût à l'absence totale de goût » … Une phrase lourde de sens aujourd’hui.

John Galliano, la chute d’une icône


En mars 2011, la maison Christian Dior défile à Paris comme elle le fait depuis des années. Mais voilà son génie de créateur n’est plus là. C’est Sidney Toledano pdg de la marque qui monte sur le podium pour faire un discours. Quelques jours auparavant John Galliano a été confronté à des plaintes suite à des propos qu’il a tenu à la terrasse d’un café parisien, la Perle dans le Marais, là où il habite. Des propos antisémites proférés à l’encontre d’un couple.
Embarqué au poste de police il sera libéré rapidement mais devra faire face à ces plaintes. Quelques jours plus tard une nouvelle personne portera plainte contre Galliano pour des propos injurieux tenus dans des conditions similaires plusieurs mois auparavant. Puis c’est une video diffusée sur le net qui fait scandale. John Galliano ivre mort y tiens des propos scandaleux où il clame son amour pour Hitler. Cela en est trop pour Dior qui annonce une procédure de licenciement contre son employé John Galliano. L’image de la marque est en jeu et le groupe LVMH ne peut rester sans réactions. D’autant plus que quelques semaines plus tôt Jean-Paul Guerlain (marque appartenant au groupe LVMH) a tenu des propos racistes au journal de France 2 et que le groupe avait tardé à réagir. Lors de ce 4 mars 2011 Sidney Toledano tourne définitivement la page Galliano chez Dior. Une vraie chute pour celui qui était adulé quelques semaines plus tôt par les plus grandes personnalités comme Carla Bruni-Sarkozy première dame de France.
Mais cette chute était peut-être prévisible. Selon ses proches et son entourage le créateur de génie que l’on pouvait voir en public n’était pas ainsi en privé. Il sombrait depuis plusieurs mois dans des addictions comme l’alcool. Une déchéance qui n’était pas récente mais qui s’accélérait depuis quelques temps. En fait depuis la mort en 2007 de Steven Robinson, son bras droit et ami le plus proche depuis son passage à la Saint Martins School de Londres. Un attachement si fort qu’il formait un duo chez Dior, Steven s’occupant du côté administratif et des basses besognes laissant John Galliano tout à son processus de création. Dès cette disparition, Galliano ne fût plus le même. Ses collections chez Dior étaient moins outrancières, il ne faisait que s’inspirer certes avec brio des archives de la maison. En privé il sombrait et se transformait aussi bien psychologiquement que physiquement. Ses dérapages verbaux étaient de plus en plus fréquents mais on lui pardonnait chez Dior sauf que dans la rue il n’en est pas de même.

John Galliano, le procès


22 juin 2011. John Galliano qui est en cure de désintoxication dans l’Arizona est arrivé discrètement au tribunal correctionnel de Paris où il doit faire face aux trois plaignants qui portent des accusations contre lui. Ambiance incroyable au tribunal où l’attaché de presse a dû faire face à de nombreuses demandes de journalistes. Du jamais vu selon elle. Il est certain que ce genre de procès avec un inconnu n’attire pas autant les foules. Fashions-addict.com arrivé très tôt au tribunal de Paris est placé juste derrière le clan Galliano.
15h45 arrivée de John Galliano qui est vêtu d’un blazer et d’un pantalon sarouel noir, les cheveux bruns avec des mèches blondes, discret il n’est pas maquillé. On apprend que l'un des plaignants qui a porté plainte dans cette affaire, l’avait retirée puis redéposée. 15h53 début de l’audience. La défense se plaint de la présence d’un garde du corps sur le banc de John Galliano. Le créateur a besoin d’une interprète mais cette dernière ne comprenant pas l’accent de John Galliano laissera sa place à son avocat qui traduira. La Ligue contre le Racisme et l'Antisémitisme (Licra), le Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples (Mrap), l'Union des Etudiants juifs de France (UEJF) ou encore SOS Racisme et J'accuse sont présents à l’audience. La juge fait la lecture des faits reprochés le 24 février 2011. John Galliano à la barre est très évasif. Il avoue se souvenir de l'intervention de son chauffeur et de l'arrivée de la police mais pas trop de ce qui s’est passé avant.

 

John Galliano annonce à la juge qu'il a suivi une cure de désintoxication de deux mois dans l'Arizona pour traiter son addiction à l’alcool. John Galliano prenait du Valium, des barbituriques, des somnifères et de l'alcool. John Galliano dit qu’il a perdu en 2007 un être cher qui le protégeait on devine que depuis il n’est plus le même. Il se plaint également de l’énorme pression qu’il y avait à gérer chez Dior. Il évoque une surcharge de travail depuis la crise, la peur de l’échec. Il parle des nombreux contrats qu’il a avec sa société. Il dit ne pas avoir eu le temps de faire le deuil de cet ami. « Je devais rester éveillé tout le temps c’est ce qui m’a poussé à prendre des cachets ».
Géraldine Bloch, l’une des plaignantes est à la barre, John Galliano ne semble pas apprécier sa présence et lui adresse quelques mots en anglais. Géraldine Bloch : « Les mots les plus fréquents qu’utilisaient le créateur étaient "bitch" (salope) et "jewish" (juive") », raconte-t-elle. « Cela a duré pendant près d’une heure. ». Géraldine Bloch explique au juge avoir eu l'impression d'être suivie après son dépôt de plainte et que sa boite aux lettres a été saccagée. « Je n'avais aucun intérêt à ébruiter l'affaire. Je ne voulais pas de cette médiatisation », poursuit Géraldine Bloch, à la barre « John Galliano avait un comportement bizarre, je ne sais pas s'il était ivre. Il a dit "jewish" au moins 30 fois !", raconte l'une des victimes. Philippe l'ami de la victime dit : "J'ai demandé à la serveuse d'intervenir mais elle n'a rien fait. Ils lui ont amené un autre mojito. » « Il a essayé de toucher les cheveux de mon amie ». D’autres témoins se succèdent notamment ceux de la défense. "J'ai accepté de témoigner quand j'ai lu dans la presse que John Galliano avait perdu son emploi. J'ai trouvé ça démesuré", dit un témoin. La professeur d'anglais, qui témoigne, affirme ne pas avoir entendu de propos antisémites entre John Galliano et le couple présent dans le café La Perle. Un autre témoin affirme ne pas avoir entendu d’insultes. L’avocat de la plaignante se demande comment une étudiante en mode est devenue témoin dans cette affaire et comment elle a trouvé les coordonnées de l’ancien avocat de John Galliano.
Puis c’est l’ouverture du deuxième dossier sur des faits similaires survenus le 8 octobre 2010 dans un bar. L’un des plaignants insultés avec une amie par le créateur dit qu’il pensait que c’était un sdf mais c’est devenu très vite « lourd ». C’est pourquoi il y a eu une main courante de déposer.
Lors des débats on évoque cette vidéo publiée par les médias avec des propos très graves tenus par le designer là encore ce dernier ne semble pas avoir de souvenir.

 

Finalement John Galliano s’excuse pour les propos de la vidéo du Sun mais également auprès des trois plaignantes. « Je suis désolé auprès des parties civiles et auprès du tribunal. Je n’ai aucuns souvenirs des propos qui me sont reprochés. »
Après un bref rappel sur la situation familiale et professionnelle de John Galliano (sans enfant, ayant uniquement sa mère comme famille, licencié de chez Dior et de sa maison John Galliano, sans activité actuellement et toujours sous soins), la juge demande si John Galliano veut s’exprimer et dire ce qu’il ressent. « Oui, il suffit de regarder mon œuvre pour voir que j’embrasse toutes les cultures. Je sais ce que l’on ressent lorsque l’on est discriminé, je suis né John Carlos Galliano, j’ai été élevé dans une école réservé aux garçons, vous pouvez imaginer la méchanceté entre enfants. J’ai vécu avec les tribus Masaï, des noires, j’ai voyagé à travers le monde pour m’inspirer et je prends beaucoup de notes et fais des dessins … » .
Le jugement dans cette affaire a été fixé au 8 septembre 2011. Mais bien plus qu’un homme qu’on juge il semble bel et bien que c’est l’icône déchue que l’on souhaite voir condamnée. Même si les propos tenus sont inqualifiables, il semble bien que le créateur n’était pas lui-même sous l’emprise de l’alcool. Il a été requis 10 000 euros d’amendes. Finalement cette affaire est peut-être un bien pour John Galliano qui aura ainsi le temps de se soigner et de se reposer (selon la marque Dior, Galliano dessinait 32 collections par an, hallucinant) pour peut-être mieux rebondir dans la mode d’ici quelques semaines. Pour Dior cette affaire aura permis d’entamer une nouvelle ère (à moindre frais) avec un nouveau créateur qui sera nommé prochainement.

 

Par Marie-Joe Kenfack

 

John Galliano
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