La Mode et la Crise, bilan et perspective

Mode | Publié le 30/11/2009 08:08:45
Des mois que l’on entend toujours les mêmes refrains concernant la crise. Elle est mondiale, elle est économique, elle concerne tous les marchés, certains plus que d’autres. L’industrie du textile subit elle aussi les conséquences de cette crise. On ne peut occulter les fermetures d’usines, les marques qui disparaissent, les griffes dans le rouge, les stratégies redessinées, les investissements sacrifiés.

Mais aujourd’hui quand est-il vraiment ? Quelles sont les perspectives pour 2010 ? L’Institut Français de la Mode a récemment évoqué ces questions lors d’un séminaire réunissant de nombreux professionnels et journalistes du secteur dont votre magazine.

L'Europe, premier marché mondial de l'habillement

Il faut savoir que l’Europe est le premier marché mondial de l’habillement et représente en 2008 un marché de 311 milliards d’euros. Dans ce marché, les 5 grands pays d’Europe représentent une grande partie de ce chiffre (74%). En tête des dépenses en matière d’habillement on trouve l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, la France puis l’Espagne. C’est grâce aux différents plans de soutien locaux et européens que le marché semble en cette fin d’année retrouver une certaine croissance évaluée par l’Ifm à 0,4 % au troisième trimestre 2009 par rapport au deuxième de cette même année. L’Allemagne et l’Italie sont les moteurs de cette très légère hausse, l’Angleterre et l’Espagne demeurant pour leur part à la baisse.

La France confirme quand à elle la baisse générale pour 2009 avec une perspective de stabilisation pour 2010. Pour 2009 en France, le secteur du textile-habillement devrait enregistré un recul d’environ 4%. La consommation des ménages est pourtant positive puisque le chiffre est de 0,6 % mais cette valeur est boostée par le secteur de l’automobile (grâce aux primes et aux aides diverses) et ne touche pas l’habillement. Bien au contraire les dépenses d’habillement sont détournées ou réduites au profit d’autres secteurs. Les investissements « d’habillement » demeurant pour un grand nombre de foyers des dépenses que l’on peut « facilement » réduire. Une tendance qui s’observe notamment en ce qui concerne la mode adulte, les garde-robes des enfants étant renouvelées en priorité par nécessité. C’est pourquoi de nombreuses marques et enseignes lancent ces derniers temps des lignes enfants, notamment pour des marques de luxe.
Autre tendance en matière de consommation, la baisse des ventes des grosses pièces au profit des plus petites souvent à petits prix. Prouvant ainsi que le consommateur n’a pas perdu le désir d’acheter. Heureusement. Une tendance qui va se confirmer pour 2010, d’autant plus que la part de l’habillement dans le budget des ménages va continuer sa lente érosion. Comme pour l’alimentaire cette tendance observée depuis plusieurs années s’explique par l’apparition dans les dépenses quotidiennes de nouveaux pôles de consommation comme les abonnements téléphoniques, internet, ainsi que les nouveaux loisirs (jeux vidéo notamment). Des pôles de consommation qui n’impactaient pas les foyers dans les années 80 et 90, du moins dans des valeurs marginales. L’habillement est l’un des secteurs qui souffre le plus de cette nouvelle répartition. Pour 2010 on peut s’attendre à une baisse de 1,2 % en valeur concernant la consommation de textile-habillement.

Dans ce contexte morose seules les chaînes de magasins semblent pouvoir faire face. Les boutiques H&M, Zara, Mango, maintenant Uniqlo, bientôt TopShop semblent les mieux armées pour faire face à ces évolutions en proposant un modèle économique ayant fait ses preuves en Europe. Elles offrent aussi des modèles adaptés à la demande et surtout accessibles à tous les budgets. Le marché de l’habillement semble se segmenter. On retrouve ainsi les grandes marques de luxe, les enseignes mondiales et les discounters, chacun trouvant « son » public. Les enseignes locales devant pour survivre se développer à l’international en ouvrant notamment des boutiques en Europe et en Asie. Les taux de croissance étant trop faibles notamment en France et au Royaume-Uni pour espérer un avenir à court et moyen termes.
Les enseignes spécialisées (Kiabi, La Halle !, Gemo ..) destinées au grand public et implantées sur des zones commerçantes fortes semblent de plus en plus dominer le secteur. Leur part de marché devrait se conforter en 2009 en passant de 38% à 38,5%. Ces enseignes qui s’adressent en premier lieu à des foyers populaires durement touchés par la crise et le chômage ont cette année particulièrement joués sur la baisse des prix et les promotions.

Même si cette crise touche particulièrement les détaillants indépendants, elle permet à certains de se distinguer en proposant une offre multi-marques plus pointue avec de nouvelles idées et de nouveaux créateurs. Cette crise a permis de développer de nouveaux projets et à doper la créativité dans la distribution. Dans ce contexte les spécialistes des catalogues et vépécistes ont subit de plein fouet cette crise. D’autant plus que la vente en ligne semble trouver sa place dans les réflexes d’achat des françaises. Aujourd’hui ils représentent en France 5,6 % des achats textiles au premier semestre 2009 et environ 9 % au Royaume-Uni. Dans ce pays un site comme Asos connaît une véritable frénésie avec une croissance à deux chiffres l’incitant à ouvrir des versions dans les autres pays européens et notamment en France. Le textile sur internet est l’un des rares canaux de distribution qui ne connaît pas la crise. Entre les ventes privées, les spécialistes, les discounters, les sites de marques, l’offre est de plus en plus large, le choix aussi. Les françaises sont enfin convaincues que le shopping en ligne peut avoir ses avantages.

La mode homme qui semblait être le nouvel eldorado des marques au début des années 2000 subit elle aussi les aléas de la crise et s’offre pour 2009 une tendance à la baisse au mieux à la stabilité. Chez l’homme les enseignes de centre ville ou de centre commercial comme Célio ou Jules s’en sortent plutôt mieux que les grandes surfaces comme Décathlon. Confirmant une tendance où l’on voit que le prêt à porter ville domine le prêt à porter sport-loisirs.

Le rayon femme le plus touché par la crise

Chez la femme la situation est plus inquiétante et ce rayon demeure celui le plus touché par la crise. Les femmes font maintenant des choix plus réfléchis. On préfère les petits pièces aux modèles plus imposants et donc plus chers. C’est d’ailleurs le prêt à porter ville qui souffre le plus de la crise. Ainsi le legging est une nouvelle fois et pur la troisième année consécutive la pièce phare des achats. Les robes sont préférées aux jupes mais devancent aussi les jeans et les pantalons. Le Short de ville fait une belle percée, il faut dire que c’est une pièce très « tendance ». Les secteurs de l’enfance et de la petite enfance se stabilisent grâce notamment à la démographie et un taux de natalité très dynamique en France. Un secteur qui doit aussi beaucoup à l’âge moyen des mères (29,9 ans en 2009 à comparer au 26,4 en 1970), elles ont donc plus de revenus, et au phénomène des « cadeaux » toujours très présent sur ce marché de la petite enfance.

Si les experts et les signes semblent nous indiquer une sortie de crise annoncée pour les prochains mois le recul de 9% en valeur au troisième trimestre 2009 par rapport à 2008 pour le secteur de l’habillement annonce lui des temps difficiles pour ce secteur. Est-ce que les changements de consommation de ménage ne vont-ils pas s’inscrire dans la durée ? Pourtant la mode n’a jamais été aussi populaire et les consommatrices ressentent l’achat mode comme avant tout un achat plaisir. Dans ce contexte difficile l’habillement français est particulièrement touché. La production française selon l’Ifm devrait être en recul de 25% en 2009. Les principaux acteurs du secteur pensent que le point le plus bas a été atteint et qu’on s’avance vers un redémarrage de la production et de la consommation.
En résumé on peut dire que cette crise économique aura bouleversé de façon irréversible le marché du textile dans le monde, en Europe, et particulièrement en France. Les modes de consommation de la Mode ont changé, ils sont plus réfléchis. Les circuits de distribution ont eux aussi évolué vers plus de segmentations et de créativité avec des offres prix et produits plus larges. La domination des enseignes au détriment des détaillants semble inéluctable. Au niveau de la production française, elle devra s’adapter aux nouvelles exigences et prospecter les marchés émergents tout en gardant sa spécificité notamment au niveau de son savoir-faire. C’est certain cette crise aura cousu d’un nouveau fil les contours hexagonaux du secteur de l’habillement.

Par L.L et MJK

Données chiffrées : Source IFM
Publicité