Monsieur Massaro : bottier d'exception
Luxe | Publié le 01/10/2007 10:44:59
Massaro est un nom qui fait briller les yeux des femmes passionnées de chaussures. Cette maison est le symbole du luxe et du haut de gamme dans la chaussure. Créateur de chaussures sur mesure Massaro a chaussé et chausse les plus grands de ce monde : la Comtesse Bismark, la Duchesse de Windsor, Elisabeth Taylor, Marlène Dietrich ou Romy Schneider.
Cette maison est également le fournisseur des plus grands couturiers. Raymond Massaro réalise les modèles de chaussures des défilés Chanel Haute Couture, tout en travaillant pour d'autres grands noms comme Christian Lacroix, John Galliano, Gianfranco Ferré, Olivier Lapidus, Thierry Mugler, Azzedine Alaïa...
Un véritable mythe du monde de la mode
Les amateurs de Mode connaissent bien votre nom mais pouvez-vous nous en dire plus sur la maison Massaro ? Depuis quand existe-t-elle ?
La maison Massaro a été fondée par mon grand-père en 1874 au même endroit et dans les mêmes locaux qu’actuellement. L’histoire Massaro c’est trois générations. Pour ma part je suis entré dans une école de bottiers en 1944, j’en suis sorti en 1947 et j’ai intégré immédiatement l’entreprise familiale ou j’avais mon père et un de ces frères.
Votre apprentissage c’est fait essentiellement à l’atelier ?
En effet mon apprentissage c’est fait comme ça au fil des années. Quand je suis arrivé dans l’entreprise je n’avais rien à y faire, ils étaient trop forts pour moi. Mon histoire ne s’est pas construite en trois mois, il m’a fallu des années et des années de travail et surtout d’observations. Mon père n’était pas du tout pédagogue, il me disait « Tout ce que tu dois apprendre, tu dois le voler » ! Vous voyez un peu l’ambiance de l’atelier. C’est pourquoi j’ai énormément observé leur travail et petit à petit, comme on dit, l’oiseau fait son nid.
Quels sont les mots qui pourraient définir au mieux le travail de la maison Massaro ?
Le travail de la maison Massaro se situe tout d’abord dans une grande rigueur, ça c’est le gage d’un travail bien fait. Ajouter à cela de l’excellence et également beaucoup d’écoute. Comme nous faisons des chaussures sur mesure, il est essentiel de savoir écouter les clientes et essayer de répondre à leurs caprices et les caprices des femmes sont nombreux. Mais je pense toujours que la femme avec ses excentricités, ses foucades, nous permet de progresser, de nous nous dépasser dans notre métier grâce à ces exigences particulières.
Vous avez chaussé et chaussé encore les plus grands de ce monde, quelle relation avez-vous avec ces personnalités ?
La relation, elle est de confiance avec ces personnalités qui sont quand même des clients. Les plus grands soient-ils il y a une relation de confiance qui s’établit au fil des années et qui reste une confiance absolue dans le fournisseur que je suis, le bottier. Et puis il ne faut pas croire, une femme jamais, aujourd’hui vous êtes bon demain vous n’êtes plus rien. Mais ce n'est pas un handicap au contraire, ainsi on se remet perpétuellement en questions, c’est important pour soi-même et pour l’exigence de la cliente.
Vous voulez dire par là que la femme est un être bien difficile ?
La femme est un être très complexe mais j’ai beaucoup plus de plaisir à chausser les femmes que les hommes malgré que je fasse les deux. Ma clientèle est à 80% féminine mais je ne le regrette pas. J’ai toujours aimé travailler la chaussure femme car il y a des bouts, des talons différents, des couleurs, des motifs très variés, avec la chaussure femme la créativité est pratiquement sans limites. Avec l’homme il y a plus de normes à respecter.
Votre métier fait parti de l’artisanat mais n’avez-vous pas l’impression parfois de flirter avec l’art ?
C’est possible, il ne faut pas oublier que dans artisan il y a art. On a parfois l’impression de faire une pièce unique, c’est vrai. On fait une belle broderie sur une chaussure mais il ne faut pas se prendre la tête, notre travail va aux pieds rien de plus, c’est important. Le soulier qui est une petite partie de l’habillement c’est quand même lui qui enlève, avec sa hauteur de talon parfois avec sa cambrure vertigineuse, il enlève la robe et on le voit. C’est pourquoi j’ai appris beaucoup dans les collections Haute-Couture. Thierry Mugler m’a appris la folie des talons très très hauts. Chanel n’en parlont pas c’est mon couturier de passion. On a quand même créé la sandale Chanel qui a marqué l’histoire, puisque 50 ans après on me demande toujours des Chanel comme il y a cinquante ans. Voilà c’est extraordinaire, toute ma vie a été une vie de passion aux cotés de la femme que j’aime profondément.
Avez-vous une idée du nombre de créations que vous avez réalisé ?
En terme de créations je ne peux pas vous dire, je sais que j’en fait chaque année. Mon métier me permet de ne pas créer à date fixe c’est plus quand j’ai envie ou presser par les événements ou presser par les clientes je suis obligé de créer. Pour moi la création est importante, on se renouvelle en permanence, ce qui est bien. En plus il faut compter aussi avec le renouvellement des modèles Haute-Couture, c’est une deuxième chose, c’est une autre approche, créer est important pour moi sinon je m’ennuierais.
Les pieds sont tous différents, vous arrive t’il parfois de tomber sur des difficultés inattendues ?
Oui le pied est un matériau complexe du corps humain, peut-être la partie la plus difficile. On va parler un peu anatomie mais le pied se complète de différentes petites mesures. Il est aussi le gage de la stabilité du corps, la circulation sanguine se fait également par le pied et la jambe c’est donc un élément extrêmement important du corps humain. Le bottier doit s'attacher à faire une chaussure confortable.
Autrefois la femme ne travaillait pas, elle s’occupait d’elle-même. Elle ne marchait pas, le chauffeur l’attendait. Avec Coco Chanel on est entré dans l’ère moderne avec une femme qui voyage, qui travaille, qui cours comme un homme. Il a donc fallu s’adapter. Toujours faire des chaussures esthétiques avec des talons de plus en plus vertigineux et on a affaire à une femme qui travaille, il a été nécessaire de s’attacher à la notion de confort. Le confort c’est la notion essentielle de ses 15 dernières années. Le confort est intervenu beaucoup plus qu’avant.
Avez-vous l’impression que le pied en lui-même à évoluer ?
Oui je pense que le pied est revenu à sa fonction vitale, à savoir supporter le poid du corps et le faire avancer. On en prend plus soin on le carapaçonne, il faut donc que cela soit fait dans des conditions idéales. C’est pour cela qu’on est de plus en plus aidé par des matériaux qui sont mieux tannés, plus écologiques, plus naturels.
Avez-vous des matières que vous appréciez tout particulièrement ?
Oui les matières idéales se sont les chevreaux, pour nous c’est les rois . Surtout que comme je viens de vous le dire on les tanne de mieux en mieux, beaucoup plus souples. Le fait du choix de matières tannées très souples c’est Coco Chanel qui me l’a appris, c’était l’une de ses exigences. J’ai beaucoup appris avec cette grande dame qu avait une théorie sur le pied et l’habillement qui m’a appris beaucoup beaucoup.
C’est quelqu’un que vous admiriez énormément ? Votre visage s’illumine à son évocation.
Coco était une femme de rigueur, pas toujours facile mais elle vous apprenait beaucoup. Elle se projetait dans l’avenir, elle avait 30 ans d’avance, je ne vous parle pas de la coupe de ses robes, cela ne me concerne pas, je vous parle de sa vision de l’avenir, de sa vision de la femme libérée. C’est ce qu’elle a fait, elle a libéré la femme. Je vous parle moi que de la chaussure Chanel avec la bride, elle a libéré la femme de l’escarpin qui la serrait, qui dénaturait, qui était uniformisé avec l’ensemble, ça s’est une histoire extraordinaire. C’est elle qui a découvert qu’on pouvait faire de la mode avec des accessoires, pas seulement la chaussure, amis aussi le sac, les bijoux , tout ce qu’elle a apporté à nous tous.
Pouvez-vous nous décrire quelles sont les étapes de la création d’une chaussure sur mesure ?
Pour exécuter et fabriquer une chaussure sur mesure, il y a quatre métiers qui entrent en ligne de compte. D’abord on fait l’empreinte de votre pied, on la retranscris dans du bois, du bois de hêtre. On retranscris vos désirs, bouts ronds, hauteurs de talons. Ainsi que la notion de confort. C’est la première étape, un métier bien spécifique qu’on appelle le formier.
La deuxième étape c’est de réaliser un prototype en cuir perdu, et on établit le patronage de la chaussure, sandales, escarpins à brides, salomé etc …. Deuxième métier donc c’est patronnier.
Troisième métier qui intervient une fois qu’on a fait le patron. On le retranscris sur la peau, on coupe la peau, on la dessine et on fait le modèle exact de la chaussure c’est le troisième métier. Quatrième métier, celui qui prend la tige, la tige c’est le dessus de la chaussure, on la monte sur la forme en bois qu’a établi le premier de la chaîne et on finit ainsi la chaussure. 4 métiers totalement différents mais complémentaires.
Vous travaillez avec les plus grands couturiers. Adaptez-vous votre travail en fonction de chaque collection ? Comment fonctionnent vos collaborations ?
Certainement, les collaborations sont différentes, on ne travaille pas avec Alaia comme on travaille avec Mugler, ou avec Jean-Paul Gaultier. C’est là que l’expérience est enrichissante, chacun nous apporte quelque chose. Dans les couturiers il y a ceux pour qui la chaussure est vraiment l’accessoire qu’ils aiment moins et puis il y a ceux qui aiment véritablement la chaussure et ça c’est un enchantement pour moi. Malgré qu’ils vous demandent un petit peu plus de difficultés puisqu’ils aiment cet accessoire. Karl Lagerfeld est de ceux là, il adore l’accessoire chaussure. J’ai la chance de travailler avec lui et aussi la chance de travailler avec lui pour sa collection personnelle ce qui facilite les rapports et ça c’est important. Un couturier qui aime les chaussures pour lui-même c’est extraordinaire pour un bottier.
C’est les couturiers qui viennent à vous ou l’inverse ?
Je crois que les couturiers sollicitent la maison Massaro. On ne peut pas tout faire, nous sommes une entreprise artisanale, vous savez il faut 40 heures de travail au minimum pour faire une paire de souliers. Nous sommes une petite entreprise de 10 personnes qui fonctionne bien, notre carnet de commandes est important. En période de collections au lieu de faire 10 paires on en fait 50, mais ça c’est les aléas et cette période est toujours enrichissante pour les ateliers puisque tout est fait avec passion.
Comment expliquez-vous cette fascination qu’ont les femmes pour les chaussures ?
C’est vrai que la passion de chaussures pour les femmes est importante. Pour un homme avoir 10 paires de chaussures est un maximum pour certaines femmes en avoir 300 est un minimum. Et je suis sûr que celle qui en a 300 s’interroge avant d’aller à une soirée et elle est certaine de ne pas avoir la bonne paire en définitive et c’est la 301eme qui serait bien.
Cette attirance je crois c’est dans la silhouette, la femme sait que lorsqu’elle va avoir une démarche sublime, un port de reine, ça sera grâce à la chaussure qui sublimera le reste, la robe c’est bien mais c’est la chaussure qui emporte tout. Je crois que la femme le sait, instinctivement ou pas.
Auriez-vous des conseils à donner aux jeunes qui voudraient se lancer dans cette profession de bottier ?
La formation pour faire un bon bottier ou une bonne bottière, pourquoi pas, c’est avant tout ne pas se cantonner dans le dessin. Créer des modèles sur le papier c’est bien mais il faut connaître toutes les étapes de fabrication que j’ai indiqué car sinon le créateur ne sera jamais autonome et dépendra toujours de la fabrication. Je pense que les jeunes qui veulent faire ce métier même ceux qui veulent juste dessiner les modèles doivent apprendre à monter leur propre chaussure de a à z. C’est une condition indispensable.
Avez-vous encore des désirs ou des projets ?
Je vous ai dit la femme est un matériau fantastique, excusez-moi du terme, elle est toujours renouvelé et renouvelable avec de nouveaux désirs. Les femmes que j’ai chaussé il y a 30 ou 40 ans, on va citer Marlene Dietrich, avaient une vision de la femme. Aujourd’hui je retrouve d’autres générations qui ont d’autres désirs et d’autres envies donc ma vie est remplie. Demain se sera encore autre chose, hier était passionnant, aujourd’hui l’est et demain le sera encore plus parce que les femmes qui viennent nous voir ont d’autres désirs, ont une autre façon d’envisager leur existence personnelle et professionnelle. Leurs occupations sont différentes. Il faut s’adapter et répondre aux besoins de la femme qui sont toujours très importants.
Trouvez-vous que les styles de chaussures notamment les talons ont beaucoup évolué ?
Il y a 20 ou 30 ans la femme partait au bureau elle avait ces petits talons aiguilles mais avec une hauteur relativement modeste de 5-7 cm, aujourd’hui on n’hésite pas à porter des talons de 10-12 cm. C’est vrai qu’elle ne peut pas mettre ça pour aller travailler mais il est courant pour les femmes d’aujourd’hui de transporter une paire de chaussures de rechange pour apparaître sous son meilleur jour dans une situation bien définie. Maintenant avec les sacs à main qui sont devenus de véritables besaces c’est relativement facile.
Propos recueillis par Marie-Joe Kenfack
Photos Bruno Detante
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