Rencontre avec Karine Joly championne de chute libre
VoyagesEtLoisirs | Publié le 30/03/2021 07:24:14
En 2021 il est encore des activités où les femmes sont largement minoritaires. C'est le cas du parachutisme où l'on compte environ 15% de pratiquantes féminines. C'est pourquoi votre magazine voulait aujourd'hui mettre en lumière Karine Joly probablement la plus belle réussite au féminin dans ce sport ces dernières années.
Le parachutisme n'est probablement pas le sport qui arrive en tête de nos envies quand on évoque la pratique sportive. Il faut dire que cette activité impressionne. Pourtant peu à peu elle s'ouvre au grand public et se détache complètement de son origine militaire pour devenir un vrai loisirs qui reste globalement sans danger!. En tout cas pas plus plus risqué qu'un autre sport. C'est les assureurs qui le disent alors on peut leur faire confiance.
On avait déjà évoqué ici la pratique de ce loisirs mais dans un cadre indoor avec iFly Paris et en session découverte. Aujourd'hui on vous propose de rencontrer l'une de nos grandes championnes : Karine Joly. A 39 ans cette lyonnaise est une référence dans son sport depuis qu'elle pratique cette discipline de la chute libre en duo avec Gregory Crozier. En plus dix ans de pratique le duo s'est forgé un palmarès rare dans le sport français : champions du monde et vainqueurs de Coupe du Monde. Ils ont disputé 30 compétitions avec comme résultats 30 podiums et 16 médailles d'or. Le duo a aussi à son actif 4x World Class Champions, 4 Records du Monde, 4 titres de Champions de France et 2 Médailles d'Honneur du Ministère des Sports et la Médaille d'honneur de l'Assemblée Nationale. Une vraie référence que nous sommes ravis de vous présenter aujourd'hui par le biais de cette interview.
" J'aime cette sensation d’échapper à toute emprise ... " Karine Joly
Comment vous est venu le goût pour le parachutisme ? Un rêve d’enfant ?
J’ai toujours aimé la vitesse et la glisse. Plus jeune j’étais toujours collée au hublot lorsqu’on prenait l’avion avec mes parents. Le ciel me fascine avec ses mille et une ambiances ! C’est ma marraine qui est à l’origine de mon premier saut, un tandem, pour fêter mes 18 ans. En posant les pieds au sol, j’ai réalisé que je me sentais chez moi là haut et qu’il fallait absolument que j’y retourne.
Parlez-nous de vos débuts ? L’aspect sportif et compétition est arrivé à quel moment ?
J’ai dû attendre mes 23 ans pour avoir l’opportunité d’apprendre à sauter seule. Je suis allée faire un stage au Nouveau Mexique où les premiers sauts se font suspendus à l’avion, j’ai adoré le côté cascade où il fallait escalader l’avion et se hisser sous l’aile avant de se retrouver pendu au beau milieu des airs ! Quatre ans plus tard, mon partenaire, également parachutiste, m’avouait qu’il avait un regret dans sa vie : celui de ne jamais avoir poussé cette passion au haut niveau. Je trouvais dommage d’avoir des regrets si jeunes, surtout quand on peut encore faire quelque chose pour y remédier. On a donc construit notre équipe : nous deux performeurs et un videoman pour nous suivre. La progression a été boostante et nos résultats nous ont encouragés à continuer. Quelques années plus tard, après beaucoup d’aventures et de bâtons dans les roues, nous avons atteint le titre ultime…Champions du Monde. Nous étions bien loin d’imaginer tout ça lorsqu’on s’est lancé !
Quelle est la place des femmes dans ce milieu ?
La place des femmes dans ce sport évolue à grande vitesse, heureusement ! C’est un sport issu du milieu militaire donc pas très doux niveau rapport humain… Mais en quelques années, le parachutisme sportif s’est développé de manière considérable, tant sur le plan matériel (équipement) que humainement. Bien sûr on croise toujours quelques machos ou personnes mal à l’aise avec des femmes qui les devancent dans leur sport mais moins qu’avant.
Je vois le changement depuis l’année de mes débuts en 2004. Aujourd’hui, la chute libre attire de plus en plus de femmes et les mentalités se transforment au fur et à mesure. Le plus important est de s’apporter mutuellement du soutien entre femmes et de s’aider à perdurer dans le sport.
Athlète de haut niveau votre préparation se passe comment ?
Notre sport est encore peu connu et sous médiatisé. En tant que sportif de haut niveau, nous ne bénéficions pas de préparateur physique, ni de nutritionniste, ni de coach mental… En ce qui me concerne, j’ai appris au fil des années ce qui était nécessaire en entretien physique pour supporter les entrainements et rester performante, mais j’ai surtout appris grâce à mes erreurs. Niveau mental par exemple, chaque mauvaise gestion de stress, de déception, de sentiment d’injustice que l’on peut ressentir lors de compétition, tout cela m’a rendu plus forte et m’a appris à mieux me connaître pour pouvoir dresser mon tableau d’objectifs et transformer mes sensations parasites en moteur. Au final, j’ai adapté mon alimentation, je me suis créé un programme d’entretien physique et une sorte de routine pour garder un mental fort.
Vous avez presque tout gagné qu’est-ce qui vous motive encore ?
Ce sport est incroyable car la progression est infinie. Il évolue constamment, encore plus rapidement depuis la démocratisation des souffleries (simulateurs de chute libre). Ce qui me motive c’est cette progression permanente, et le partage humain qui est l’un des joyaux de la chute libre : grace à ce sport je rencontre des gens extraordinaires venant de milieux complètement différents, je voyage, je transmets ma passion !
Les connections que le coaching crée sont un véritable trésor pour moi. J’aime chercher le conseil à donner pour chaque personne, les aider à trouver des sensations, des appuis, qui pourront les débloquer. Chaque personne est unique, il faut s’adapter et essayer de trouver le meilleur moyen de communication. C’est pas toujours évident mais c’est un sacré exercice. Je trouve mon challenge et ma motivation là dedans.
Quel est l’aspect que vous préférez dans le parachutisme ?
Je pense que chacun a une réponse qui lui est particulière, pour moi le maître mot c’est la Liberté. Cette sensation d’échapper à toute emprise …
Quand mes pieds quittent l’avion, j’entre dans un état de béatitude: transformer mon corps en aéronef vient défier ma condition humaine et je m’émerveille encore des vitesses de déplacement et des positions que l’ont arrive à prendre en l’air. Chaque étape est intense: lorsque l’on apprend à sauter, on se découvre, on va au delà des situations « normales » de la vie, on est dans l’instant présent et l’intensité que l’on ressent donne toutes ses couleurs à la vie. Tous nos sens sont en éveil, le cerveau doit analyser et être capable de réagir vite si besoin, pour moi c’est aller chercher un potentiel latent et s’en servir. Ajoutez à tout ça le partage humain que je vous ai décrit plus haut et voilà de quoi rester accro au parachutisme.
J’en profite pour préciser que l’adrénaline dont tout le monde parle est surtout présente au début, sur les premiers sauts. Pour moi cette décharge hormonale est liée à une sensation de danger de mort. Lorsque le cerveau comprend par la répétition que tout va bien, on ne ressent plus la boule au ventre ou le pic d’adrénaline. Avec plus de 6400 sauts aujourd’hui, me jeter de 4000 mètres est complètement normal, je garde un immense plaisir à chaque fois, je ne ressens pas de peur.
" Mes destinations préférées ? Celles où il fait chaud ! Mes coups de cœurs sont pour les plages de sable blanc et les eaux turquoises ... "
Karine Joly
Vous voyagez dans le monde entier, quelles sont vos destinations préférées et pourquoi ?
Mes destinations préférées: celles où il fait chaud ! Mes coups de cœurs sont pour les plages de sable blanc et les eaux turquoises comme au nord est de l’Australie à Cairns, le Kenya, les Maldives, Bora Bora… ces décors lumineux sont époustouflants de beauté, les contrastes des couleurs font ressortir les parachutistes sur ces fonds d’eau turquoise magnifiques. Se poser sur du sable blanc a un côté Robinson qui me plait. Car ces endroits ont un goût d’aventure: les plages ou les îles ne sont pas si faciles d’accès. Pour sauter dans ces coins il faut des autorisations spéciales, ce sont souvent des opérations limitées dans le temps. Le retour se fait en bateau ou en bus local, il y a toujours un côté exceptionnel, unique, qui donne encore plus de saveur à ce que l’on vit.
J’ai également la chance incroyable de sauter sur des sites chargés d’histoire comme le fameux rocher emblématique d’Australie: l’Ayers Rock (Uluru) qui est un endroit sacré pour le peuple Aborigène, ou les Pyramides d’Egypte, sur le plateau de Gizeh. Me retrouver sous voile à côtoyer ces patrimoines de l’humanité avec leur histoire et ce qu’elles représentent pour moi me remplit d’émotions.
La crise sanitaire a-t-elle eu un impact fort sur votre activité ? Comment gérez-vous cela ?
Le premier confinement a été brusque et violent, tous nos événements ont été annulés. On n’a pas vraiment eu d’options pour se retourner, plus de travail du jour au lendemain, comme dans beaucoup d’autres professions … Puis notre activité a repris timidement en juin 2020, sans grande conviction ni réel rythme. Cette situation nous a permis de mieux nous préparer pour la suite et nous avons réussi à jongler avec les pays frontaliers pour maintenir une activité indoor en automne.
Lorsque le deuxième confinement a été annoncé, on s’est échappé de France pour animer l’événement, dont nous sommes ambassadeurs, au dessus des pyramides de Gizeh. Chapeau bas aux organisateurs qui ont décidé de maintenir ce rassemblement. Chaque participant venant avec un test PCR négatif, nous restions entre nous dans l’hôtel et dans l’énorme avion militaire C-130. Tout s’est parfaitement déroulé. Pour tout le monde, c’était salutaire de retrouver un écho à notre vie d’avant. Nous avons donc décidé de partir au Brésil passer le plus dur de l’hiver au soleil, et pouvoir continuer à sauter. Car notre sport nécessite une activité régulière afin de maintenir nos réflexes. Nos voiles sont rapides et exigeantes, rester trop longtemps sans voler peut nous mettre en situation de danger à la reprise. Finalement depuis le mois d’Octobre nous avons pu voler en Egypte, au Brésil, à Dubaï, aux Maldives et en Namibie. Je mesure ma chance d’avoir pu continuer à travailler.
Votre sport a une image assez élitiste, est-ce vraiment le cas ? Est-il accessible à tous ?
C’est un sport onéreux au même titre que l’équitation, la moto, les sports automobiles… Il y a beaucoup de centres école qui aident les débutants au niveau du logement, du tarif des sauts, de la location de matériel… Je dirais que l’engagement le plus dur est de faire le premier pas. Si l’on calcule ce que quelqu’un peu dépenser sur un week-end, en restaurant, sortie nocturne, consommations etc… le budget est largement suffisant pour sauter en parachute, c’est une question de priorité.
Pour ceux qui auraient un empêchement physique, les simulateurs permettent de ressentir les effets de la chute libre, que l’on peut pratiquer régulièrement en soufflerie, sans jamais avoir sauté d’un avion.
Quelles sont vos autres passions ?
Plus jeune, je faisais beaucoup de ski, de karaté. Plus tard je me suis mise à la moto, et récemment aux sports de glisse sur l’eau comme le kite surf, le wake surf, dans lesquels je suis encore une novice mais ça me branche à fond (dans des eaux chaudes bien entendu) ! En dehors des activités sportives, tout ce qui est artistique me fait vibrer.
Vos prochains objectifs ?
Finir mon livre, commencé lors du premier confinement, pour pouvoir passer à l’édition et à la promotion : je reviens sur mon expérience de la chute libre, comment elle a transformé ma vie, avec toutes les péripéties qui me sont arrivées en 10 ans de compétition et les clés qui m’ont permis de surmonter les obstacles puis de transformer le stress en moteur.
Continuer à transmettre ma passion en amenant les gens à vivre des moments d’une intensité rare qui allient la beauté de notre sport aux décors à couper le souffle. Karine Joly et son partenaire Greg Crozier parcourent le monde pour des sauts de démonstration et des événements profesionnels. Ils sont régulièrement en Europe, Afrique, Emirats Arabes Unis, Etats-Unis, Brésil et Australie. A ce jour, le duo a sauté dans 28 pays, 120 drop zones et volé dans 53 souffleries sportives.
Ils ont gagné le titre en Australie sur la Gold Coast en 2018 et sont toujours les actuels champions du Monde. Karine et Grer sont ambassadeurs du Sport, d'iFLY World, de Skydive Egypt et Maldives, de FreeFall Community et sont supporter par 7 sponsors.