Rencontre avec Jean-Michel Duriez parfumeur créateur de Jean Patou
Luxe | Publié le 21/04/2008 09:40:12
Rencontrer un acteur du monde du luxe est toujours enrichissant mais découvrir un métier rare est encore plus passionnant. A l'occasion du lancement du parfum SIRA des Indes de Jean Patou au Café de la Paix, nous avons interviewé Jean-Michel Duriez le 'nez' de Jean Patou. Par la même occasion nous avons découvert la profession de parfumeur-créateur. Avec ce nouveau parfum SYRA des Indes, Jean-Michel Duriez s'aventure pour la première fois dans une contrée onirique, l'Inde, à la découverte de la région de Mysore. La création de ce parfum s'est faite autour d'une fleur unique : la champaca. On retrouve dans ce parfum l'accord inédit de la banane, du santal et de la vanille. La senteur de ce parfum pourrait se qualifier de gourmande, somptueuse, résonante, mystérieuse ......
Quelle formation avez-vous suivi pour devenir ‘nez’ ? existe t’il une école ?
Pour devenir parfumeur créateur, la première chose c’est être passionné du parfum. Ça, c’est une formation personnel qui commence généralement assez jeune et qui fait que arrivé à un moment de sa vie , on se dit pourquoi pas en faire un métier , à ce moment là on passe par une école qui s’appelle ISIPCA qui se trouve à Versailles. Cette école forme de jeunes parfumeurs. Ce que j’ai fait et ensuite on peut aussi approfondir sa connaissance dans une école interne de maison de parfumerie à Grasse plus souvent, celle que où je suis allé s’appelle Roure voilà cela dure un ou deux ans. Et puis après on continue à apprendre son métier toute sa vie, au fil de ses créations.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui veut faire ce métier ?
S’accrocher, pour pouvoir faire ce métier si vous avez la passion vous avez toutes les chances d’y arriver mais la passion ça veut dire la patience, l’envie mais tout commence par l’amour du parfum si vous n’avez pas cet amour si vous n’avez pas cette flamme qui vous brûle en permanence. C’est un métier tellement difficile, déjà difficile à pratiquer et premierement difficile à rejoindre que généralement on abandonne en cours de route donc si on veut vraiment le faire, aller jusqu’au bout, il faut avoir cette flamme, cette passion brûlante qui vous anime en permanence.
Avant d’arriver chez Jean Patou quel a été votre parcours ?
Faire les écoles dont je viens de vous parler ensuite la formation à Grasse puis une première maison dans laquelle j’ai commencé à travailler comme parfumeur junior. La première fonction qu’on occupe en sortant de la formation c’est souvent le poste de parfumeur junior c’est à dire qu’on n’est pas encore tout a fait opérationnel, on commence à créer, à travailler sur les projets. Puis au fil du temps au fil des années on arrive à gagner des projets à droite à gauche pour finalement devenir parfumeur à part entière.
Pour quelle maison avez-vous été junior ?
Alors le nom des maisons de parfumerie sont des noms inconnus mise à part la maison pour laquelle je travaille aujourd’hui qui est JEAN PATOU. Pourquoi ça ? Parce que la plupart des parfums de créateurs sont conçus par des maisons indépendantes qui travaillent dans l’ombre il n’y a que très peu de parfumeurs Maison c’est à dire des parfumeurs qui travaillent au grand jour pour la Maison en question donc il y a moi chez Jean Patou, il y a aussi un ‘nez’ chez Chanel, Hermès, Cartier et Guerlain donc voilà les seules maisons qui ont des nez Maison
Comment se conçoit un parfum ? Quel est le process ? combien de temps ?
Alors là je ne peux pas vous répondre , j’en sais rien
C’est top secret ?
C’est pas top secret. Mais comment se conçoit un parfum ? Techniquement je peux vous le dire. On créé un parfum en mélangeant des matières premières odorantes ensemble ce qui donne naissance à un concentré et ce concentré est ensuite mélangé à l’alcool. On lui fait subir une étape de glaçage et de filtrage qui fait qu’au bout du compte on obtient le parfum en question qu’on pourra mettre ensuite en flacon. Simplement ça c’est la partie technique maintenant la partie créative je n’en sais rien. On passe sa vie à apprendre, on passe son temps à découvrir les accords, il n’y a pas de techniques particulières, il n’y a pas de livres de parfumerie dans lesquels on peut apprendre à créer des accords donc c’est un métier très empiriques c’est un métier sur lequel on passe sa vie à chercher et à apprendre .
Combien de temps entre la création de ce flacon et l’arrivée en magasin ?
Avant d’arriver en magasin on a commencé à lui faire subir une série d’étapes intermédiaires on arrive à la fabrication que lorsqu’on est absolument sûr du produit final et notamment on passe par toutes sortes d’étapes qui sont à la fois techniques et marketing, des étapes marketing qui sont bien souvent des tests consommateurs pour vérifier que notre parfum a des chances d’être accepter par nos clients. Les tests techniques ça va être aussi des tests de stabilité, stabilité du jus, du flacon, tous les éléments qui constituent le produit final . Quand tout cela a été opéré et validé et bien à ce moment là on arrive à l’étape de la vraie fabrication et de la mise sur le marché .
Entre le premier jour où on commence à créer le parfum, à penser au parfum et sa mise sur le marché, généralement il se passe environ deux ans.
Quelles sont les différences entre un parfum, une fragrance, une senteur, une odeur ?
C’est très littéraire comme question et c’est pas à un parfumeur à qui il faut la poser , je pense qu’il faut poser la question à un écrivain. Tout ça c’est un peu la même chose, techniquement un parfum ça peut décrire deux choses : la première c’est le produit ‘parfum’ en général c’est à dire cette essence qu’on met sur la peau et qui sent bon et d’une manière plus précise dans le langage des distributeurs le parfum c’est la version la plus concentré d’un ‘parfum’ d’une fragrance qui est donc plus concentré que l’eau de parfum ou que l’eau de toilette. Dans la gamme de concentration et de force d’un parfum vous avez le moins fort qui est l’eau de toilette ensuite en intermédiaire l’eau de parfum et au plus fort le parfum qu’on appelle aussi extrait .
Comme dans les grands vins, y a t’il des niveaux de qualité dans les parfums ?
Alors je pense que comme dans les vins, comme dans les cigares et comme dans tous les produits qui sont reliés au luxe il y a des étages, il y a des différences de qualité qu’on retrouve la plupart du temps retranscrite dans le prix et dans les marques. En effet vous avez des marques qui sont plus luxueuses que d’autres et il y a des marques qui sont plus abordables. En général les parfums sont bons, je ne connais pas de parfums qui sentent mauvais mais simplement apres il y a des histoires de différences liées à la qualité des ingrédients, des matières premières naturelles, chez Jean Patou par exemple on utilise énormément d’extraits naturels dont certains viennent de nos propres champs qui se trouvent dans le sud de la France à Grasse et cela peut faire la différence d’une marque à l’autre et donc voilà il y a des marques de luxe, des marques de très haut luxe et je pense que Jean Patou fait partie de celle là.
Avez-vous des senteurs auxquelles vous êtes particulièrement attachées ?
Oui j’avoue. Le problème c’est que je ne peux pas vous répondre précisément parce que ça varie, ça change pas mal. On a tous une relation très forte avec l’odorat.
L’odorat est la forme la plus tenace du souvenir c’est à dire que quand vous sentez une odeur que vous n’aviez pas senti depuis 10 ou 20 ans elle peut encore provoquer chez vous quelque chose et revenir très fraîche à votre mémoire comme l’histoire de la madeleine de Proust vous savez cette histoire ou Proust se trouvait dans un salon en train de manger une madeleine et tout d’un coup avec le simple gout la simple odeur de cette madeleine il se mettait à se souvenir de son enfance et de l’époque où sa mère ou sa grand-mère fabriquait des madeleines On a tous des attachements très forts à des odeurs alors moi en tant que parfumeurs il y a plusieurs odeurs qui me marquent et qui m’ont marqué dans la vie. Bizarrement l’odeur du kérosène , j’adore l’odeur du kérosène pourquoi parce que c’est une odeur qu’on ne sent que dans les aéroports et donc c’est l’odeur du voyage , c’est l’odeur de l’évasion, c’est l’odeur du départ, en plus cette odeur apparaît à des moments et en des lieux précis : en arrivant dans l’aéroport, en entrant dans l’avion, et au moment du départ. Cette odeur est pour moi une odeur extrêmement attachante et comme vous le voyez ce n’est pas nécessairement de bonnes odeurs ou des odeurs de parfums. A coté de ça j’ai aussi des matières fétiches comme par exemple la fleur d’osmanthus que j’aime énormément et qui est une fleur autour de laquelle j’ai travaillé pour mon premier parfum pour Jean Patou qui s’appelait « un Amour de Patou. »
Votre talent peut-il intervenir dans d’autres secteurs que la parfumerie ?
Je pense que si j’ai du talent, il est essentiellement focaliser sur la parfumerie parce que pour moi la définition du talent c’est une aptitude naturelle multipliée par un travail, un travail profond donc étant donné que c’est le seul domaine dans lequel j’ai beaucoup travaillé je pense que si j’ai un talent ce n’est que dans la parfumerie. Maintenant il se trouve que j’ai des connivences avec d’autres domaines qui me passionnent et qui sont même pour moi des moments d’aération de l’esprit Je pense particulièrement à la gastronomie, aux vins, j’aime d’une manière générale tous les métiers du luxe, la mode en particulier, ce sont pour moi des sources d’inspiration, dans la mesure où ce sont aussi des domaines qui sont liés par nature au domaine du parfum puisque toutes les maisons de luxe ont pour la plupart des parfums et donc il y a des ponts très très important entre l’univers du parfum et les univers du luxe en général
Est-ce que , comme un sportif, vous devez faire des exercices afin de conserver vos acquis ?
C’est absolument important, il n’y a rien de plus volatile même si j’ai dit le contraire tout à l’heure. J’ai dit que l’odeur était la forme la plus tenace du souvenir, mais seulement quand elle est lié à un événement, par exemple l’odeur du brulé peut être lié à un événement, ou l’odeur d’un gâteau que sa maman faisait, là l’odeur étant liée à un événement elle peut rester en nous toute la vie.
En revanche une odeur qui n’est pas lié à un événement comme moi par exemple dans mon laboratoire. Il faut savoir qu’un parfumeur à environ 5 000 ingrédients différents dans son laboratoire donc ce sont 5 000 odeurs différentes. Quand je les sens, elles sont pour moi très anonymes, elles ne sont pas liées à des événements particuliers donc ça veut dire que si je veux les mémoriser si je veux en garder un souvenir, facilement, souvent, et bien le seul moyen de le faire c’est comme ce que vous venez de dire pour un sportif, il faut les pratiquer régulièrement, ressentir, me les remettre sous le nez de manière à me rafraichir la mémoire de ces matières.
Le processus de création d’un parfum peut prendre combien de temps ?
Je pense qu’on peut travailler sur une création pendant 5 minutes ou pendant toute une vie c’est une question d’idées, est-ce qu’on avait la bonne idée au départ , c’est une question aussi de conviction. Quelque fois on a une très bonne idée mais on n’arrive pas à la mettre en place et à force de conviction on finit par la mettre en place mais il faut du temps donc je dirais que cette formule de « 5 minutes à toute une vie » est la vraie réponse. Il faut savoir aussi que lorsque l’on créé un parfum on le fait pour un projet en particulier et donc forcément à un moment il y a une date butoir à partir de laquelle il faut s’arrêter de créer si on ne m’arrêtait pas je passerais mon temps à peaufiner mes créations.
Vous avez lancé le concept du parfum Couture sur mesure pour 50 000 €, avez-vous eu beaucoup de candidats ?
Le parfum Couture, ça veut dire le parfum sur mesure. Nous l’avons appelé « Parfum couture » pour faire un clin d’œil à la maison de Couture Jean Patou et Couture aussi parce que c’est une référence à la Haute-Couture puisque la Haute-Couture est la forme la plus personnalisée de la mode. Ce parfum couture qui coûte donc 55 000 euros très précisément est une activité qu’on a mis en place très récemment et pour laquelle on a pas vraiment commencé à avoir beaucoup de clients pour une raison très simple que c’est une activité, un projet qu’on propose uniquement à des clients fortunés. De plus cette activité n’existait pas auparavant, il faut donc du temps pour qu’elle entre dans les mœurs.
Que pensez-vous du marché de la parfumerie en France ?
Le marché de la parfumerie n’est pas que français il est avant tout mondial. Quand on créé un parfum on ne le créé pas pour la France on le créé pas pour un pays mais pour des clientes, les clientes qui aiment la marque Jean Patou et qui y sont fidèles .C’est un marché qui est en perpétuelle évolution et qui est évidemment influencé par des tendances .La parfumerie on l’a vu certaines années étaient influencées par des notes gourmandes, ensuite par des notes marines, aujourd’hui la parfumerie est très influencée par la personnalisation Par ce qu’on appelle les marchés de niches, plus un parfum est introuvable, plus il est recherché par les clientes. Je pense que la tendance du marché de la parfumerie est fortement encré en ce moment en tout cas, ces dernières années, dans ce qu’on appelle les niches, c’est a dire une odeur de plus en plus personnalisée, on recherche une odeur qu’on ne va pas sentir sur sa voisine ou son voisin.
Y a t’il trop de marketing ?
Je ne pense pas qu’il y ait trop de marketing et du coup je ne sais pas si c’est normal ou pas normal. Je pense que le parfum n’a jamais été ou la création en parfumerie n’a jamais été considérée comme un art, c’est à dire un domaine dans lequel des créateurs, des artistes montraient au public sans leur vendre des odeurs, ça n’a jamais été ça.
Je pense que cela a toujours été une activité commerciale partant de là le marché de la parfumerie est un marché qui a toujours été partagé entre ces deux notions. La première notion qui est donc de devoir vendre ces produits et de plus en plus à l’international et puis aussi l’envie de faire des odeurs qui soient créatives qui plaisent aux gens ou en tout cas à une certaine catégorie de gens. Il faut savoir qu’il y a énormément de lancement chaque année, énormément , énormément, et que donc chaque lancement est l’occasion soit de se positionner comme quelqu’un de différent avec des œuvres différentes et originales soit de positionner son produit comme un produit facile à sentir et confortable.
La femme française est-elle une femme qui apprécie le parfum ?
Encore une fois je ne vois pas mes clientes comme des françaises, des japonaises ou des américaines, je les vois comme des fidèles de Jean Patou c’est vraiment de cette manière que nous voyons nos clientes. Si il fallait vraiment répondre à cette question, je pense que la cliente française est une cliente experte qui a sans doute une éducation, une culture du parfum plus complète que les autres et qui de ce fait est beaucoup plus exigeante.
Les goûts des consommateurs sont-ils différents suivant les pays ?
De ce fait oui puisque ça varie selon les cultures. Il faut savoir qu’il y a des odeurs qui plaisent par cultures, dans certains pays, et les mêmes odeurs peuvent être repoussantes dans d’autres pays. La lavande plait énormément en Angleterre alors qu’en France elle est considérée comme bas de gamme. Le citron et le pamplemousse plaisent énormément en Espagne alors qu’en France s’est considéré comme détergent etc … L’osmanthus est très exotique en France alors qu’au Japon il est considéré comme ‘mass market’. Les goûts locaux sont très influencés par les cultures, les traditions, de ce fait ces différences font qu’il y a des succès locaux, régionaux. Certains parfums marchent dans certains endroits et pas d’en d’autres c’est vraiment dus à ces différences de goût qui sont finalement très compréhensives comme c’est le cas également en cuisine.
Au bout de 10 ans de travail dans la Maison Jean Patou quelle conclusion , quelles enseignements en tirez-vous ?
Je ne tire aucune conclusion, je ne fais que des perspectives , je ne vois que l’avenir, je ne me retourne pas beaucoup sur mon passé, simplement ce que je considère c’est que j’ai un acquis formidable. J’ai eu l’occasion de rencontrer beaucoup de gens. Les clientes je les vois je ne les connais pas personnellement bien évidemment mais en tout cas je les rencontre beaucoup et j’ai une ferveur pour cette maison qui fait que j’ai envie pour très longtemps encore de l’emmener et de la garder sur ses rails de l’excellence et du monde du luxe
La gamme SIRA DES INDES
Eau de parfum - 30 ml - 70 euros
Eau de parfum - 50 ml - 95 euros
Eau de parfum - 75 ml - 130 euros
Parfum de luxe - 15 ml - 255 euros
Propos recueillis par Marie Joe Kenfack
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